Une fresque du monastère de Sucevița en Roumanie.
Désireux d’affirmer leur foi orthodoxe face aux occupants ottomans, les seigneurs de Bucovine, région du nord de la Roumanie, ont fait construire le monastère de Sucevița en toute hâte. L’église fut construite entre 1582 et 1584. Les fresques ont été peintes en l’espace de dix mois, selon la technique italienne de la buon fresco. Les pigments sont intégrés dans un enduit à la chaux : une fois que celui-ci a séché, la peinture qui s’y trouve emprisonnée se retrouve aussi dure que résistante et apte à traverser les siècles.
Un fleuron de l’ensemble de fresques figurant sur les murs du monastère de Sucevița représente l’échelle des vertus, que les moines doivent gravir pour se rapprocher de Dieu. À chaque échelon, ils risquent de trébucher et de tomber dans les enfers où les attendent les démons. Chaque barreau de l’échelle représente une vertu. Les premiers échelons correspondent aux vertus les plus simples, qui s’acquièrent facilement, les qualités fondamentales sur lesquelles le croyant s’appuie pour développer sa vie spirituelle et poursuivre le chemin qui mène à Dieu. Dans les derniers échelons, on trouve une forme particulière de prière, la prière sincère du cœur, que l’on dit quotidiennement pour le salut de l’âme, au rythme de son cœur, une prière permanente qui s’élève même dans les occupations ordinaires de la vie.
Ce moine qui tombe alors qu’il a atteint un haut niveau de vie spirituelle est victime de son arrogance, de sa trop grande estime de soi. Trop fier de ce qu’il a accompli sur Terre, ne prêtant plus attention aux autres, ne se remettant plus en question, il tombe de l’échelle. Un ange qui arrive à la droite du Seigneur s’apprête même à lui planter sa lance dans le cœur. Un démon arrive et le saisit pour l’entraîner vers l’enfer. La sentence divine peut tomber à n’importe quel moment, y compris lorsqu’on est proche du but, et provoquer la chute.
Une vie entière, même de moniale, ne suffirait pas pour s'imprégner de tout ce qu'il y a à voir ici, de cette profusion d'images qu'on ne cesse de redécouvrir, et qui fortifie la croyance, ou peut-être pour certains, le doute. C'est l'histoire de l'humanité qui est illustrée sur ces murs, celle du bien et du mal que chaque homme porte en soi, de toute éternité.
L'ascèse monastique est quelque peu éloignée du dogme protestant de la "grâce seule" capable de sauver le fidèle. Cette pensée religieuse mérite cependant, à mon sens, d'être considérée pour l'usage qu'elle fait de l'image. Considérant que la nature humaine est bien trop faible pour s'élever d'elle-même vers Dieu, les moines ont recours aux images comme nourriture de la vie spirituelle. Les images détiennent non seulement un potentiel didactique pour la conduite de la marche vers Dieu, mais également une qualité esthétique qui sublime les beautés de la spiritualité dans les formes humainement imparfaites de l'art terrestre. L'art endosse ici la fonction d'une passerelle vers l'invisible, vers le divin.
Billet de Nicolas Preud'homme ; propos repris en grande partie du documentaire « Roumanie, la beauté sacrée des monastères peints », réalisé par Vincent Froehly en 2018, disponible sur le site Internet d’Arte entre le 08/09/2018 et le 07/10/2018.
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