Naomie, une chrétienne avec qui je corresponds quelquefois, m'a signalé un verset biblique sur une figure féminine méconnue de la Bible. Il s'agit de Schééra, une bâtisseuse de villes dans l'ancien Israël. Cette femme n'est mentionnée qu'à travers un seul verset de l'Ancien Testament, dans une des généalogies ouvrant le premier livre des Chroniques (1 Chroniques 7 : 24)
"[Éphraïm] eut pour fille Schééra, qui bâtit Beth-Horon la Basse et Beth-Horon la Haute, et Uzzen-Schééra."
Dans la Bible, il est clair qu'en dépit d'une prédominance masculine héritée d'un certain contexte social marqué par des inégalités de genre et par une culture patriarcale, des femmes enseignent, dirigent, jugent, prophétisent, bâtissent des villes, exhortent les fidèles, prennent des initiatives autour du culte de Dieu, occupant donc une position d'autorité.
Or dans beaucoup, si ce n'est la plupart des églises évangéliques, on en est encore à se demander si le fait d'accepter qu'une femme assure la présidence ou la prédication du culte ne déplairait pas à Dieu ! Ces chrétiens-là lisent-ils toute la Bible et comprennent-ils le principe même de la foi en Christ ?
Dans l’Évangile, le Christ énonce à l'égard des Pharisiens, qui occupaient une position dominante dans le système religieux de la Judée ancienne, une parole très claire : "C'est en vain qu'ils m'honorent, en donnant des préceptes qui sont des commandements d'hommes. Vous abandonnez le commandement de Dieu, et vous observez la tradition des hommes. [...] Vous anéantissez fort bien le commandement de Dieu, pour garder votre tradition." (Marc 7 : 7-9)
Le cœur de notre foi, c'est un Dieu juste, généreux, ami de chacune et de chacun, "qui ne fait pas de considération de personnes" ni non plus de favoritisme (Deutéronome 10 : 17, Actes 10 : 34, Romains 2 : 11), qui "a créé l'être humain, homme et femme, à son image" (Genèse 1 : 27). Dans la Genèse, la domination de l'homme sur la femme résulte du péché et de la corruption lors de la Chute (Genèse 3 : 16), ce n'est nullement l'idéal divin pour la condition humaine. Alors oui, disons-le, l'égalité entre hommes et femmes est un principe fondateur de notre foi. Et tant pis si certains, comme l'apôtre Paul, n'ont pas compris les implications d'une telle exigence (1 Timothée 2 : 12 ; voir cependant Galates 3 : 28 sur le principe de l'unité de la condition chrétienne). Après tout, Paul est humain, et tout être humain peut se tromper, même quand il se dit inspiré par Dieu. Il nous appartient donc de séparer le vrai du faux, de discerner le bien et de réparer toutes les erreurs, même celles qui sont commises par des chrétiens zélés et sincères.
L'histoire jugera ceux qui se complaisent à ne garder de la Parole qu'une vision inégalitaire, sexiste et machiste des plus rétrécies et des plus inhumaines, à se complaire dans un archaïsme qui se donne les apparences de l'authenticité. Seront jugés ceux qui négligent la réalité des dons spirituels de la moitié de l'Église, qui accaparent les premiers rôles en reléguant dans l'ombre des personnes talentueuses et douées, mais à qui il a toujours été enseigné de se tenir en retrait et de se conformer au schéma suranné de la femme parfaite, douce, réservée et modeste. Sous prétexte de vertu, ils instaurent un système vicieux jusqu'à la racine, ils font la sourde oreille ou vilipendent comme impies celles et ceux qui alertent sur une injustice aussi flagrante. Quel principe chrétien peut justifier un tel parti-pris, un tel rabaissement ? Le fait d'avoir ou non un pénis ou un utérus a-t-il quoi que ce soit à voir avec le fait d'enseigner ou de diriger ?
Chrétiennes, chrétiens, ouvrez donc les yeux de votre Esprit, éveillez l'intelligence que Dieu vous a donnée et réformons notre Église à l'exemple de nos prédécesseurs !
En dépit de ces injustices graves, en dépit de la profondeur du mal qui habite une grande partie du monde et de l'Église, il nous appartient, à nous qui sommes désireux de changer les choses, de garder la tempérance et le sang-froid nécessaires à la crédibilité de notre engagement. Nous ne construirons jamais rien contre les chrétiens qui ne sont pas d'accord avec nous. Au contraire, c'est avec chacune et chacun, en nous efforçant de convaincre dans le débat pacifique, raisonné et respectueux, que nous arriverons à faire bouger les lignes vers plus de justice. Évitons donc ces deux pièges, la lâcheté du silence et les égarements de la colère.
Suivons ainsi l'exemple de Schééra : bâtissons des villes pour que puisse y habiter dans la paix, la justice et la concorde tout être vivant dans cet univers.
Billet de Nicolas Preud'homme.
Légende de l'image : Déborah jugeant Israël, scène sculptée sur le coin nord-ouest du Capitole de l'État du Nebraska, à Lincoln (États-Unis). Source : https://commons.wikimedia.org/…/File:Nebraska_State_Capitol…
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