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  • Photo du rédacteurNicolas J. Preud'homme

La phylogénétique retrace les origines du récit du Déluge

L'histoire du Déluge est l'un des récits bibliques les plus connus. La Genèse n'est cependant pas le seul livre à la raconter. Des études en phylogénétique des mythes, science qui croise théorie de l'évolution, sciences humaines et traitement statistique des données, ont révélé qu'à l'origine de l'épopée de Noé, se trouvait un récit qui serait né en Afrique il y a plus de 100 000 ans.


Aivazovsky, Déluge, peinture de 1864.

Source de l'image : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Aivazovsky_-_Deluge.jpg


Si de nombreux épisodes racontés dans l'Ancien Testament sont sans nul doute exclusifs, d'autres sont visiblement empruntés à des traditions narratives plus anciennes. Le mythe du Déluge apparaît ainsi dans l’Épopée de Gilgamesh, consigné sur plusieurs séries de tablettes mésopotamiennes dont les plus anciennes remontent à 2600 ans avant notre ère, soit bien avant la rédaction de la Genèse. La légende de Gilgamesh relate l'histoire d'un certain Utanapishtim, qui raconte que, jadis, le dieu de la Sagesse l'a averti d'une inondation imminente et gigantesque ; en conséquence, il démolit sa maison pour la transformer en bateau, avant d'embarquer sur cette construction de bois avec des spécimens de tous les animaux.


Ces parentés entre différents récits ont suscité le questionnement des chercheurs, qui se sont demandés si ces mythes n'avaient pas une origine commune. Si tel était le cas, il serait possible de retracer l'histoire d'une histoire sur le modèle d'un arbre du vivant, avec son tronc originel et ses rameaux de mutations. À l'image des espèces animales appartenant à une même famille, les histoires racontées par les communautés humaines qui se sont séparées récemment sont très proches, ce qui est précisément le cas des Déluges mésopotamien et biblique, nés tous deux au Moyen-Orient, séparés par quelques milliers d'années seulement. Plus on remonterait dans le temps, plus les récits comporteraient de différences.


Plus de trois-cents différents mythes diluviens ont été recensés à travers le monde, selon le Dictionnaire critique de la mythologie écrit par l'historien Bernard Sergent et l'anthropologue Jean-Loïc Le Quellec. L'enjeu de la nouvelle approche phylogénétique consiste dès lors à reconstruire l'arborescence des mythes, d'identifier ses descendants, leurs liens de parenté et le tronc commun originel. L'arrivée de l'informatique et des logiciels dédiés à la génétique ont révolutionné l'étude philologique des textes.


La méthode philogénétique décompose premièrement les composantes des mythes connus en différents mythèmes, soit une idée de base du récit, par exemple : "le rescapé du Déluge est un ami de Dieu". Rassemblant les éléments du corpus collecté, une grande base de données est élaborée. La présence de chaque mythème au sein d'un récit y est entrée sous la forme binaire de 0 et de 1. Ont ensuite lieu les calculs de probabilité statistique de l'apparition d'un mythème particulier à un nœud donné, ainsi que la proximité entre deux mythes recensés, de la même manière qu'en génétique. Pour construire l'arbre, les chercheurs basent leurs hypothèses de reconstitution sur le principe de parcimonie, basé sur la préférence pour le minimum de changements évolutifs et d'avatars narratifs.


Les premières études ont livré leurs résultats préliminaires, qui doivent encore être affinés par la prise en compte de nombreuses autres données. La généalogie du mythe diluvien apparaît cependant assez clairement. Pour Jean-Loïc Le Quellec, "le thème originel du Déluge, qui est l'idée d'une humanité détruite par l'eau (ou encore le feu), pour qu'une autre la remplace, semble né en Afrique il y a sûrement plus de 100 000 ans". Cette origine peut être devinée à travers les traces de ce canevas dans certains récits africains non influencés par le prosélytisme des missionnaires.


Une fois sorti d'Afrique avec les migrations de l'homo sapiens, le récit du Déluge se répandit dans les diverses régions de l'Eurasie, en acquérant selon les temps et les lieux diverses modifications. En Asie du Sud-Est serait peut-être né le concept d'un crime de l'homme qui aurait blessé ou tué un animal sauvage, comme origine du cataclysme. Les récits diluviens suggèrent que cette légende aurait été transmise lors des premières colonisation de l'Amérique, il y a plus de 20 000 ans, par des populations asiatiques ayant probablement emprunté le détroit de Béring, selon Julien d'Huy, titulaire d'un doctorat en anthropologie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.


La circulation du récit diluvien en Asie Centrale a fait l'objet en 2008 d'une étude de l'anthropologue Wim van Binsbergen, de l'université de Leiden aux Pays-Bas. Ce dernier pense que les premiers récits contenant l'idée d'une arche de bois y trouveraient leur origine il y a près de 15 000 ans. C'est ensuite dans le Croissant Fertile, entre 9 000 et 2 600 ans avant notre ère, qu'une divinité serait devenue l'allié du héros. Chez les Grecs, Zeus a pitié de Deucalion, le fils de Prométhée ; en Mésopotamie, le dieu de la Sagesse prévient Utanapishtim d'une inondation prochaine, tandis que dans la Bible, Yahvé avertit Noé du Déluge.


Les auteurs de la Bible ont ainsi récupéré certains récits qui témoignaient d'une tradition et d'une spiritualité partagées par toute l'humanité. Jean-Loïc Le Quellec précise que le Déluge n'est qu'une composante de cette cosmogonie globale qui s'est répandue comme un tout avec l'expansion de l'espèce humaine.


N. J. Preud'homme.


Source : Thomas Cavaillé-Fol, avec Pierre-Yves Bocquet et Jean-Baptiste Veyrieras, "Révélations sur la Bible", Science & Vie, n°1205, février 2018, p.60-79, ici p.70-72.


Lien vers les références utilisées.

https://www.science-et-vie.com/.../revelations-sur-la-bible-10422


Référence supplémentaire.

Dang Nghiem Van, "The Flood Myth and the Origin of Ethnic Groups in Southeast Asia", The Journal of American Folklore, 106 (421) : 304, octobre 1994.



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