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  • Photo du rédacteurNicolas J. Preud'homme

Non aux délires fondamentalistes sur le coronavirus !

Je vois et j'entends ici ou là telle vidéo, tel article de blog, tel billet posté sur tel réseau social prétendre donner à l'internaute crédule le fin mot de l'histoire sur l'épidémie actuelle de coronavirus, à grand renfort de citations bibliques sorties de leur contexte, d'élucubrations prophétiques à la petite semaine et de gloses apocalyptiques montées pêle-mêle avec exhortation larmoyante et appel à la repentance, comme une mauvaise réclame. Les milieux évangéliques, où ce type de théorie trouve un terreau fertile, sont particulièrement exposés à ce que l'on doit bien qualifier d'arnaques.


Les théories complotistes, prétendument chrétiennes ou non, qu'elles proviennent d'un illustre théologien ou d'un farceur anonyme, ont les mêmes causes, les mêmes manières de procéder, les mêmes objectifs. Tirer parti d'une situation de crise et d'instabilité. Développer une pseudo-connaissance de prétendus initiés qui s'érigent en "ceux qui savent" par rapport au commun des mortels. S'autoproclamer prophète délivrant doctement sa lecture a posteriori (toujours !) sur des faits qu'on connaît à peine. Torturer un texte sacré pour en dégager un sens dicté d'avance, manipuler des éléments d'actualité pour aller dans le sens d'une rengaine catastrophiste éculée et usée jusqu'à la corde. Vendre un message d'espoir qui s'assimile souvent à faire allégeance à tel ou tel groupe prétendant être gouverné par Dieu et détenir un monopole sur ce qu'il faut croire.


L'historien, le chrétien et le citoyen que je suis vous disent ceci ; que ceux qui ont des yeux lisent bien !


Non, la Bible n'a rien à nous dire sur le coronavirus, parce qu'elle a été écrite il y a des milliers d'années par des auteurs humains qui n'en avaient aucune idée. Si Dieu avait parlé de l'épidémie actuelle de coronavirus au prophète Ézéchiel, ce dernier n'aurait pas manqué de l'évoquer avec précision pour nous en avertir expressément, ce qui n'est nullement le cas, de toute évidence. On ne peut tirer de connaissance certaine à partir d'un vague propos aisément généralisable ou adaptable à tel ou tel événement. Ce que ces fondamentalistes disent aujourd'hui sur le coronavirus, ils le disaient hier sur le Sida ou la Guerre Froide, et ils le diront demain sur un autre malheur des temps lorsqu'il se présentera.


Non, aucune catastrophe humaine n'est annonciatrice de tel ou tel signe divin ; ce sont les hommes qui font parler Dieu pour trouver à tout prix une réponse et une logique à des événements imprévus et déroutants. N'ayons pas l'orgueil de dicter au Ciel sa conduite. Souvenons-nous des recommandations de sage prudence que nous lisons dans l'Ecclésiaste. "Ne te presse pas d'ouvrir la bouche, et que ton cœur ne se hâte pas d'exprimer une parole devant Dieu; car Dieu est au ciel, et toi sur la terre: que tes paroles soient donc peu nombreuses. Car, si les songes naissent de la multitude des occupations, la voix de l'insensé se fait entendre dans la multitude des paroles" (Ecclésiaste 5 : 2-3).


Non, aucune prophétie ne peut expliquer l'avenir. Les événements historiques auxquels font référence les prophéties de la Bible datent d'une période antérieure ou au mieux contemporaine à la rédaction de ces livres, comme l'a établi la critique textuelle des philologues les plus sérieux. Les prophéties bibliques sont toutes des prédictions a posteriori ! Je vous renvoie à mes divers travaux et fiches de lecture fournis sur le site du Carnet Déborah.


Non, ce n'est pas parce qu'on parle au nom de Dieu qu'on dit la vérité. Le prophétisme est un phénomène avant tout humain, qui remplit une fonction d'exhortation pour le présent, visant à orienter les esprits dans une direction morale ; ce n'est en aucun cas un moyen pour connaître le passé ni l'avenir. Le prophète prépare les esprits à l'avenir, il souhaite anticiper l'avenir, mais il ne connaît pas l'avenir, car il reste un être humain. Les prophéties écrites par et pour les gens du Proche-Orient ancien, avec leurs mots, leurs images, leurs références et leurs préoccupations, ont une utilité pour l'historien qui souhaite approcher les mentalités de ces temps antiques, mais n'ont pas vraiment d'utilité pour comprendre le monde du XXIe siècle.


Non, le coronavirus n'est pas une punition divine. Il arrive tous les jours des événements heureux et malheureux, aux bons comme aux méchants. "Dieu fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes." (Matthieu 5 : 45). Les maux de notre temps sont à chercher dans les lois de la nature, les mécanismes des sociétés et de l'âme humaine. On ne peut trouver d'explication absolue ou transcendante à cet amoncellement de contingences. On ne peut faire de Dieu le mortier qui comble les trous de notre science en l'invoquant à tour de bras. On ne peut aller sans danger au-delà de l'observable et de l'expérimentable.


Chrétiennes, chrétiens, ne relayons pas ces folies et ces mensonges au service du fondamentalisme de la pire espèce. N'alimentons pas les peurs et les angoisses par un délire millénariste malade de ses fantasmes. Ayons le courage de la raison, n'utilisons pas la liberté contre elle-même, ne nous livrons pas à la tromperie, ne nous asservissons pas à la sottise. Faisons honneur à la sagesse, au discernement et à l'intelligence que Dieu nous donne. Et respectons les consignes de sécurité et d'hygiène pour limiter la propagation de cette épidémie.


Nicolas Preud'homme.


Pour aller plus loin : Etienne Jacob, "Apocalypse, punition divine : quand le coronavirus crédite les prophéties fondamentalistes et sectaires", Le Figaro, publié le 27 mars 2020 à 17:54, mis à jour le 28 mars 2020 à 18:26.



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