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  • Photo du rédacteurNicolas J. Preud'homme

Une espèce à part : l'infime et l'infini

Dernière mise à jour : 30 mars 2020

Une excellente mini-série documentaire de vulgarisation scientifique, diffusée sur la chaîne Arte, fait le point sur notre condition d'êtres humains dans l'univers. Réalisée par Clément Morin et Franck Courchamp, cette succession de dix petites vidéos allant de 2 à 4 minutes met l'accent sur la modestie de notre position au sein du cosmos. Que ce soit dans le temps, l'espace, les capacités biologiques, le rapport aux autres espèces, il ressort que nous, humains, ne sommes pas au centre de cet univers si grand et si foisonnant. Je vous livre ici un résumé des informations délivrées en reprenant le propos de cette série documentaire, avant de livrer mes propres réflexions.


Une seule galaxie contient entre 100 et 400 milliards d'étoiles. Et il existerait environ 2000 milliards de galaxies*. Pour l'ensemble de l'univers observable, soit une toute petite partie de l'univers réel, les astronomes estiment le nombre d'étoiles à 400 sextillions (400 000 000 000 000 000 000 000).



Dans notre galaxie, la Voie Lactée, le nombre de planètes est estimé à 100 milliards. Et autant dans chacune des 2000 milliards de galaxies que comportent notre univers. Chaque jour, 275 millions d'étoiles naissent, et autant meurent. Comment la vie n'aurait-elle pu évoluer qu'une unique fois ? Même avec des probabilités d'apparition très faibles, il est fort vraisemblable que l'univers bouillonne de formes de vie diverses. Ne pas croire en l'existence de la vie extraterrestre, ce serait un peu comme plonger un verre d'eau dans l'océan et le ressortir en disant que, puisqu'il ne contient pas de poissons, ceux-ci n'existeraient pas.


Notre planète, comme notre système solaire et notre galaxie, est en mouvement. La Voie Lactée se déplace à 720 000 km/h.


Si l'histoire de notre planète Terre était contenue dans un livre de mille pages, la vie apparaîtrait vers la page 185 ; pendant 700 pages, cette vie ne serait représentée que par des cellules simples ; des pages 870 à 880 serait racontée l'explosion des espèces multicellulaires ; la sortie des eaux serait racontée à la page 916.

La Terre subit cinq crises majeures, dont une, il y a 250 millions d'années, au cours de laquelle la vie faillit disparaître, avec l'extinction de 70 % des espèces terrestres et de 80% des espèces marines. La Terre mit 80 millions d'années à s'en remettre. C'est à la page 960 que figureraient les dinosaures. L'histoire de l'humanité n'occuperait que les toutes dernières lignes de la dernière page, soit 0,004% de l'histoire de la Terre.


L'homme n'est pas le sommet de l'évolution, car toutes les espèces vivant actuellement dans notre monde sont issues d'une évolution aussi longue que la nôtre. Toutes les espèces animales et végétales sont intégrées à leur environnement et ont leur existence propre. Rien ne dit que l'espèce humaine devrait être éternelle, ni même qu'elle mettra plus longtemps que les autres à disparaître. La durée de notre vie à l'échelle de l'univers est dérisoire, un battement de cil.


Sur Terre, l'être humain est une espèce parmi 5 000 espèces de mammifères et près de 70 000 espèces de vertébrés et 7 à 100 millions d'espèces vivantes différentes. Si l'on ajoute les microbes, le nombre d'espèces atteindrait les 1 000 milliards. La vie s'est diversifiée dans un nombre immense de formes et de variétés. Une feuille de l'arbre saurait-elle se penser au centre de la forêt ?


En termes de nombres d'individus, les hommes sont trois fois moins nombreux que les poules. En comptant la biomasse, l'ensemble des humains ne pèserait pas plus lourd que les fourmis. Nous ne sommes pas l'espèce la plus abondante, ni la plus forte, ni non plus celle qui vivrait le plus longtemps. Certains requins ou tortues vivent plus de 200 ans, coraux et éponges près de 2000 ans. Certaines méduses sont capables de rajeunir leur organisme : sans maladie ou prédateur, elles seraient immortelles. Les capacités de résistance de certaines espèces aux conditions extrêmes (température, aridité, manque d'eau, de nourriture et d'oxygène, exposition aux rayonnements et au vide) sont bien plus grandes que celles données par la physiologie humaine.

Les performances physiques des animaux (vitesse, saut, force, sens de la perception) surpassent celles des humains dans quasiment tous les domaines. Notre supposée domination sur les autres espèces est bien relative.

Dans le domaine de l'intelligence, la majorité des animaux communiquent de manière complexe. Les abeilles dansent pour indiquer la présence des fleurs. Les singes ont des capacités de calcul mental comparables aux jeunes enfants. Les arbres peuvent prévenir par l'émission de toxines leurs congénères lorsqu'ils se font manger par des herbivores. La conscience de soi, la mémoire à long terme, l'empathie, le jeu et l'humour, tous ces critères d'intelligence ont été repérés chez de nombreuses espèces. Même la créativité de l'être humain doit être relativisée. Plusieurs centaines de milliers d'années avant l'apparition des humains, les fourmis avaient déjà inventé l'agriculture, l'élevage, les classes sociales, le travail à la chaîne et les réseaux de communication. Les inventions humaines sont pour beaucoup de pâles copies de ce qui se fait dans la nature. Nous avons peine à définir même l'intelligence des êtres qui nous entourent.


L'être humain s'est peu à peu affranchi de la nature. Mais notre vie quotidienne demeure intriquée dans le fonctionnement de la biodiversité. L'agriculture dépend des pollinisateurs, notamment des abeilles à miel, au nombre de 50 000 milliards sur Terre. Chaque abeille peut visiter 250 000 fleurs par saison. Le rôle des micro-organismes du sol est également essentiel. Un gramme de terre contient près d'un milliard de bactéries, réparties entre 10 à 100 000 espèces différentes dont la grande majorité est toujours inconnue de nous.


Chaque espèce se développe en interaction avec les autres espèces. Aucune espèce n'est irremplaçable, la toile du vivant compensant les disparitions par l'apparition de nouvelles espèces.

Notre organisme dépend d'une quantité impressionnante de bactéries, notamment dans le système intestinal : 100 000 milliards de micro-organismes vivent dans un intestin, soit dix fois le nombre de cellules d'un corps humain. Même nos propres cellules ne sont pas si humaines qu'on ne le pense. Tout au long de l'évolution, l'ADN humain a régulièrement incorporé des centaines de gènes étrangers, au total plus de 100 000 fragments de virus, soit environ 10% de notre génome. Nous ne serions pas ce que nous sommes sans ces autres formes de vie dont nous dépendons.


L'être humain a cependant bien une place spéciale, du fait qu'il peut avoir conscience de son état. Sa perfectibilité lui donne la liberté de changer son état, de modeler son corps, de transformer son environnement. Nous avons combattu la faim, la maladie et les prédateurs. Nous avons fait des conquêtes en développant l'altruisme, l'art, la science. Nous avons étendu notre système de communication et complexifié notre réflexion. Nous nous sommes imposés des valeurs morales en développant l'altruisme. Nous avons inventé la religion, le commerce, la politique, les discriminations, la haine, la torture, le consumérisme, l'exploitation des terres et la soumission des autres espèces. Nous avons exploré le monde dans sa hauteur et ses profondeurs.


À chaque minute, l'être humain donne naissance à 250 bébés et produit 4 000 tonnes de déchets.


Tous les jours, l'être humain produit 240 000 voitures et annihile 400 espèces vivantes.


Chaque année, l'être humain laisse mourir près de 9 millions d'enfants de moins de cinq ans et détruit 13 millions d'hectares de forêts.


"L'homme semble privilégier la croyance au savoir, l'avoir à l'être, et l'image du bonheur au bonheur lui-même. Il se pense maître de tout, mais ne se maîtrise pas. Il est la seule espèce à avoir développé la capacité de détruire son propre environnement sans avoir développé la sagesse de ne pas le faire. L'humain, si précoce, est encore immature, capable du meilleur comme du pire. Parviendra-t-il à l'âge de raison avant d'avoir brûlé sa propre maison ? Cette question est tout, sauf insignifiante."


Ce documentaire nous invite à reconsidérer notre rapport à l'univers et, pour celles et ceux qui croient en Dieu, à réfléchir à la manière dont nous le représentons. Voici les réflexions qui me viennent à l'esprit.


Plus notre science progresse, plus l'univers nous apparaît complexe et fascinant, beau, si extraordinaire. Si Dieu est un être agissant dans l'univers, son action ne saurait se réduire au champ de l'espèce humaine, si petit à l'échelle de toute ce qui existe. Ce Dieu ne saurait être un petit roi régnant sur une quantité infime d'individus dans une portion limitée de l'espace.

Nous devons, en croyants, reconsidérer notre rapport à la nature et aux autres espèces vivantes, cesser de considérer que nous sommes au centre de la création. Nous avons une place, certes, mais pas toute la place.

L'interaction entre les espèces vivantes m'invite à reconsidérer l'idée d'un être divin dont la trace se repère dans toutes les parties de l'univers. Les chrétiens ont certes gardé leurs distances avec les conceptions panthéistes qui assimilaient Dieu et la Nature. Je crois pour ma part qu'il est possible d'imaginer un moyen de concilier cette nouvelle vision du monde apportée par la science avec l'idée d'un Dieu personnel auquel notre foi nous attache.

La Bible, écrite à une époque où le Proche-Orient ne connaissait que la domination des rois, des sociétés patriarcales très inégalitaires et une conception cosmologique du monde des plus rudimentaires, a livré l'image d'un Dieu proche d'un souverain oriental régnant sur son domaine. Plus je progresse dans ma vie chrétienne, plus je constate que cette représentation biblique est fort imparfaite, même si, je le reconnais toujours, elle a gardé un noyau de vérité en décrivant le rapport des êtres humains aux grandes questions de l'existence.


À l'heure où j'écris ces lignes, je m'imagine Dieu comme une intelligence complexe, un ordre rationnel, une harmonie faisant concourir la diversité des corps et des esprits en mouvement dans un univers changeant. Une forme composée de toutes les autres formes. Un scintillement innombrable sur l'océan, où chaque éclat témoigne de la présence divine. Une présence en chaque conscience, une disposition à tenir la place qui convient, une liberté créatrice pourvoyant autant à l'individu qu'à l'ensemble : à la partie par le tout, au tout par la partie. Une exigence morale à respecter la dignité de chaque élément existant. Un univers où le divin n'est pas isolé du profane, mais où il est tout à tous. Combien nous sommes encore loin de pouvoir le comprendre et le décrire !

Et pourtant, nous, fidèles, croyons que Celui dont l'univers ne saurait contenir la grandeur a choisi d'habiter dans notre cœur. Cela ne doit pas être compris comme un privilège dominateur et un blanc-seing pour toutes nos bêtises.

Réfléchissons à la manière dont nous considérons Dieu, notre Église, nos contemporains, notre vie. Regardons au-delà de notre nombril et de notre petit réseau d'amis. Engageons-nous pour des causes qui en valent la peine. Gardons conscience de notre place dans l'univers : très petite, mais non pas insignifiante.


Nicolas J. Preud'homme.


*Joël Ignasse, "Hubble bouleverse la comptabilité des galaxies", Sciences et Avenir, 18/10/2016. L'article se base sur une étude de Christopher Conselice de l'Université de Nottingham.


Lien vers la mini-série documentaire d'Arte, "Une espèce à part : l'infime et l'infini".

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